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    Causerie

    Quelle que soit l'issue de la guerre actuellement engagée dans le Sud Africain — et malheureusement pour le vaillant petit peuple boer le résultat définitif de cette lutte inégale ne paraît pas douteux — MM. les Anglais comptent dès maintenant à leur passif quelques raclées d'importance. Ils avaient trop tôt chanté victoire, et voici que les événements sont loin de tourner à leur avantage aussi promptement qu'ils l'espéraient à l'ouverture de la campagne. Les soldats de l'Oncle Paul ont, en plus d'une rencontre, donné sur les griffes au lion britannique, et celui-ci n'est apparemment pas encore au bout de ses peines.

    Mais ce serait bien mal connaître l'esprit de nos voisins d'Outre-Manche que de croire qu'ils feront nettement l'aveu de leurs déboires ; ils ont eu, pour expliquer leurs premiers échecs, des euphémismes charmants qui méritent d'être relevés. Parlant de la journée du 24 octobre les journaux anglais ont imprimé ceci :

    Après notre grande victoire de vendredi nous croyions être débarrassés des Boers, mais nous nous sommes aperçus qu'il n'en était rien.

    Une autre dépêche, qu'on a pu lire dans Le Progrès quotidien, contient cette phrase plus curieuse encore :

    Les Boers occupaient une forte position à Dewers-Farm. L'infanterie montée anglaise n'a pu les décider à l'abandonner. Et comme les Anglais n'avaient rien à gagner à attaquer les Boers, ils se décidèrent à bivouaquer un peu plus loin.

    Dieu, qu'en termes galants ces choses-là sont dites!

    Repoussés avec perte et fracas ils se bornent à déclarer qu'ils n'ont pu décider l'ennemi à abandonner sa forte position, et obligés de se retirer devant un feu écrasant, ils se gardent bien d'avouer qu'ils ont perdu la bataille ; ils se sont simplement décidés à aller voir ce qui se passait ailleurs. On ne peut s'empêcher de constater qu'ils n'avaient guère le choix de leur décision et que c'est celle de leurs valeureux adversaires qui les a contraints de prendre l'autre.

    En dépit de leurs belles périphrases, ce mouvement précipité en arrière n'a pas dû être sans les gêner beaucoup, la rapidité de leur mouvement rétrograde les a vraisemblablement privés en cette fâcheuse occurrence de tout le confortable dont ils aiment à s'entourer d'ordinaire dans leurs déplacements.

    On connaît leur façon de voyager et le parfait sans-gêne, pour ne pas dire plus, dont ils font étalage dans leurs fréquentes pérégrinations. Dès qu'il débarque sur le continent, l'Anglais se renferme dans cette idée qu'il se trouve en présence d'êtres inférieurs, et dès lors le savoir-vivre britannique n'est plus de mise. Le mot de « pantalon » lui paraît shocking, et la chemise est pour lui l’« inexpressible », mais s'il est à Paris, et qu'il aille à l'Opéra, il se fait un devoir de mettre son complet à carreaux en contact avec l'ordinaire habit noir des fauteuils d'orchestre, — ce qu'il n'admettrait chez lui pour rien au monde.

    C'est que c'est quelque chose d'être Anglais , ainsi que le disait dans un discours récent, M. Chamberlain ; c'est même tout pour lui ; de là son profond mépris pour les usages des pays qu'il traverse, usages dont il prétend ne jamais avoir cure. Je suis Anglaise , répétait un jour, à chaque instant, une dame qui adressait une réclamation à un chef de gare ; je suis Anglaise, c'est-à-dire je ne suis pas une voyageuse quelconque, et vous me devez des égards particuliers. Tout l'Anglais est dans ce mot.

    Un de nos confrères parisiens racontait ces jours-ci une anecdote assez amusante au sujet du sans-façon de nos voisins en voyage, et de la manière dont ils entendent le confortable dans leurs plus petits déplacements – Transvaal à part.

    Une Anglaise d'un certain âge entre dans un tramway à vapeur qui va de l'Arc-de- Triomphe à Saint-Germain ; elle place auprès d'elle un petit sac en cuir, et le train part. A peine roule-t-on que la dame ouvre son sac et en sort... un petit banc en bois, le dépose devant elle et met ses pieds dessus. Puis elle exhibe un carré de soie noire et porte à sa bouche une sorte de bec de métal adhérant à ce sac.

    Les voisins pensent : Voilà une pauvre femme qui est malade, elle respire de l'oxygène ; c'est bien triste de voyager dans ces conditions-là... Mais à leur grand étonnement le sac se gonfle à vue d'œil ; elle n'aspire pas, elle souffle. Elle souffle même si vigoureusement qu'en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire le sac se transforme en un moelleux coussin que sa propriétaire se met — ne soyons pas shocking — au bas du dos.

    Il faut avouer que si les Anglais ont souvent beaucoup de sans-façon, surtout chez nous, ils ne sont pas non plus dépourvus de sang-froid, et le même confrère rappelle, à ce propos, d'après un curieux récit publié par la Revue hebdomadaire, que la seule émotion trahie par Wellington à Waterloo fut une contraction de la main serrant la longue-vue, ou encore, selon l'aveu fait par le « duc de fer » lui-même, le mouvement répété de la main au gousset, ainsi expliqué par cette déclaration du célèbre général : Waterloo a été la journée de ma vie où j'ai regardé le plus souvent ma montre.

    On peut rapprocher cette anecdote de celle d'un autre Anglais blessé dans une collision de trains.

    John ! John! s'écriait-il, appelant son domestique à qui il voulait demander la clef de sa valise pour y chercher un cordial.

    Ah ! monsieur, lui dit un employé, votre malheureux domestique vient d'être coupé en deux.

    Eh bien, répliqua-t-il tranquillement, apportez à moa le morceau où était mon clef!

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